La Seconde Guerre mondiale a transporté sur le territoire de l’Europe, des crimes contre l’Homme, qui, jusqu’à cette date, se commettaient sur les territoires lointains. Cela a suscité une prise de conscience de ce que dans tout être humain, il y a quelque chose d’inaltérable qui doit être respecté en toutes circonstances.
L’idée s’est imposée qu’il faut protéger les droits fondamentaux de l’homme au plus haut niveau. Et, c’est l’apparition de nombreux textes internationaux et nationaux, qui proclament et protègent, les droits fondamentaux de l’Homme, dans tous les secteurs de l’activité humaine.
C’est ainsi que la protection des droits fondamentaux va pénétrer le droit du travail. L’introduction de droits fondamentaux en droit du travail suscite des interrogations. Comment concilier le rapport de subordination qui caractérise le droit du travail, avec la notion de droits de l’individu ?
Cette conférence posera la problématique de la façon dont les droits fondamentaux ont pris place en droit du travail, pour apprécier ensuite, les moyens mis en œuvre pour assurer la protection de ces droits, tout en les conciliant avec les droits des autres acteurs, salariés et employeur.
Raymond AUTEVILLE, Président de l’IDHM.
– Mesdames & Messieurs les Présidents et membres des associations amies, ici présents,
– Mesdames et Messieurs les Etudiants,
– Chers membres de l’Institut des Droits de l’Homme de la Martinique,
L’Institut des Droits de l’Homme de la Martinique, est une famille, avec ses rituels et ses fondamentaux.
La rentrée du Cycle de nos Conférences, constitue un de nos rites fondamentaux.
Et, comme le poète, dans l’INTENTION POETIQUE de GLISSANT, nous choisissons ce que nous voulons construire, préserver, sauver, développer.
Et nos rituels, ne donnent pas seulement du rythme à notre calendrier, mais sont également « un levier de conscience », autant pour nous, que pour vous, auditeurs de nos Conférences.
Je vous remercie, tous personnellement, de votre présence ce soir, et tout particulièrement les étudiants, et chaque auditeur que je revois avec plaisir.
Qu’il me soit permis de saluer spécialement :
– les Présidentes, Présidents, et Membres des associations amies et partenaires, AMARHISFA, SOROPTIMIST ;
– Monsieur le Bâtonnier Dominique NICOLAS, Madame le Bâtonnier Danielle MARCELINE, mes chers confrères, cela me donne l’occasion de rappeler, que nos Conférences sont éligibles à la formation continue des avocats ;
– Monsieur le Premier Président, Gilles ROSATI, qui nous honore de sa présence, pour la première fois.
Dans toute famille, il y a parfois des moments malheureux. Au mois d’août dernier, nous avons perdu un de nos membres, Monsieur Alain ALPHA, ancien greffier, et ancien avocat.
C’est Madame Michèle GOTTIN qui m’a représenté, pour exprimer à sa famille, notre témoignage de solidarité.
Aujourd’hui, je vous propose de lui rendre directement hommage, par l’observation d’une minute de silence.
Mesdames et Messieurs,
Venons-en maintenant au thème de notre Conférence de ce soir :
« Le respect des Droits Fondamentaux du salarié dans l’entreprise »
Nous allons traiter ce soir, de la relation de travail, mais, pas sous l’angle le plus fréquemment utilisé, c’est-à-dire, l’antagonisme d’intérêts, mais plutôt par la définition du poète, Boris VIAN, pour qui :
« Le travail, c’est la liberté. La liberté c’est celle des autres. Le travail, c’est celui des autres »
Tout est dit dans cette citation. Le curseur est clairement fixé. Nous sommes au niveau des droits fondamentaux.
Mesdames et Messieurs,
Le sujet de ce soir, est plus difficile à cerner qu’il n’y paraît. Il ne porte pas sur les droits du salarié.
Nous ne parlerons pas de négociation annuelle, de prime, de congés payés, etc…, bref, il ne s’agit pas de commenter le Code du Travail.
Toute la difficulté du sujet tient en deux mots « Droits Fondamentaux ».
L’expression a été utilisée pour la première fois, par le Conseil Constitutionnel, en 1982, à propos du droit de propriété, pour désigner un droit naturel de l’Homme, inhérent à la personne humaine, indépendamment de la fonction ou du rang social de l’individu.
L’exercice attendu de nos conférenciers, consiste à présenter une analyse, sur la réalité de ces droits fondamentaux dans la relation de travail.
J’indique donc, qu’il n’y aura pas, ce soir, de cours de droit du travail ou de droit syndical, ce n’est pas le sujet.
Pour traiter d’un thème aussi pointu, il nous fallait deux compétences reconnues :
– Monsieur Bernard EDOUARD, que nous félicitons chaleureusement pour sa récente et brillante élection à la présidence du MEDEF Martinique.
Tous nos vœux sincères de succès dans ses nouvelles fonctions, l’accompagnent.
Economiste de formation, formé par l’Université d’Aix Marseille, il a d’abord débuté sa carrière dans la banque, au Crédit Martiniquais, puis à la SGBA.
Aujourd’hui, Monsieur EDOUARD est Secrétaire général du Groupe Parfait, chef d’entreprise (Fitness Park et Fitness Boutique).
Et, depuis peu, Président du MEDEF Martinique.
A côté de Monsieur EDOUARD, nous avons une deuxième conférencière.
Maître Aurélie AUTEVILLE, membre de l’Institut des Droits de l’Homme de la Martinique, depuis nos débuts, malgré sa filiation, a dû attendre des années, avant d’être, pour la première fois, conférencière, à ma demande.
Major de l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales (EDHEC), titulaire d’un Master Droit des Affaires, Maître Aurélie AUTEVILLE a d’abord exercé pendant quatre années au Cabinet LINKLATERS à Paris, avant de rejoindre mon cabinet, pour assurer le développement du département Droit des Affaires, créé spécialement pour elle.
Deux conférenciers de choix, pour traiter d’un sujet difficile, mais ô combien intéressant.
Raymond AUTEVILLE
Ancien Bâtonnier
LE RESPECT DES DROITS FONDAMENTAUX DU SALARIE DANS L’ENTREPRISE
Etymologiquement, le mot travail vient du latin « tripalium » (instrument de torture), c’est dire combien la notion de travail est historiquement consubstantielle à la notion de souffrance et de pénibilité.
Si dans les sociétés occidentales, les conditions de travail se sont (heureusement) considérablement améliorées depuis 2 siècles, le lien de subordination reste une caractéristique essentielle de la relation de travail.
Il existe entre salarié et employeur, un antagonisme originel d’intérêts qui conduit à se demander si la référence aux droits fondamentaux n’est pas illusoire dans un tel rapport de subordination ?
En effet, la simple allusion aux droits fondamentaux du salarié est longtemps apparue incongrue. Le droit du travail paraissait inconciliable avec toute référence aux libertés. Il se voulait protecteur de la collectivité des travailleurs et refusait de les appréhender dans leur singularité.
Cependant, suivant la marche de l’histoire, le droit du travail a progressivement changé de paradigme, et a aujourd’hui l’objectif ambitieux de protéger non plus les travailleurs (comme une masse indéfinie) mais la personne au travail.
L’entreprise est ardue, mais elle est absolument essentielle si l’on admet, comme le disait Lacordaire qu’ « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit ».
Après les avoir rapidement définis, nous verrons comment les droits fondamentaux se sont progressivement imposés en droit du travail (c’est à dire comment on est passé du citoyen travailleur au travailleur citoyen) (I) puis nous verrons dans quelle mesure ils constituent une limite au pouvoir de direction de l’employeur (II).
A –Définition
« Nommer est une entreprise poétique, définir est une entreprise juridique ! »
De l’aveu même de Madame Elisabeth GUIGOU, interrogée sur ce point en qualité de Garde des sceaux, définir ce que l’on entend par « droits fondamentaux » est une entreprise difficile et périlleuse car (i) il existe une diversité de sources, (ii) les droits reconnus par les instances nationales et internationales ne se superposent pas parfaitement.
Cependant, bien qu’aucune définition précise n’existe, la doctrine s’accorde à reconnaitre que les droits fondamentaux recouvrent l’ensemble des droits et libertés essentiels à la protection de la dignité humaine.
Qu’en est-il alors « droits fondamentaux du salarié ? »
Les définir n’est guère plus aisé, car si le code du travail fait plusieurs fois référence aux « droits des personnes » et « aux libertés individuelles et collectives », il ne donne aucune précision quant à leur contenu.
C’est donc la doctrine et la jurisprudence qui permettent de préciser les contours de la notion.
On distingue deux catégories de droits fondamentaux du salarié :
Parmi les droits fondamentaux spécifiques à la relation de travail on peut citer :
Mais aussi des droits fondamentaux « de droit commun » qui ont été importés dans la relation de travail (selon le postulat que le salarié ne renonce pas aux droits fondamentaux reconnus à toute personne lorsqu’il pénètre dans l’entreprise).
On peut citer par exemple :
La liste est longue!
Elle traduit une évolution de nos sociétés sur ces questions, à l’heure où les termes « d’épanouissement au travail », « bien-être au travail » n’ont plus rien de l’oxymore.
Il parait alors intéressant de se demander, comment, en 3 décennies, le droit du travail a progressivement permis l’éclosion des droits fondamentaux du salarié.
B – UNE APPARITION PROGRESSIVE EN DROIT DU TRAVAIL
En droit du travail, les préoccupations initiales du législateur français sont la sécurité des travailleurs puis la réduction du temps de travail.
Pendant longtemps, la seule forme d’intervention du législateur pour la protection de la personne au travail s’attachait à garantir l’intégrité et la dignité de la personne du travailleur par l’interdiction du travail forcé, de l’esclavage ou de la servitude.
L’idée que les droits de l’Homme doivent être vécus dans l’entreprise comme une réalité quotidienne est apparue dans les années 1980.
C’est l’arrêt Peintures Corona (Cass soc1er février 1980) qui inaugure cette idée en sanctionnant la disposition d’un règlement intérieur qui prévoyait des contrôles d’alcoolémie systématiques pour tous les salariés d’une entreprise de fabrication de peinture.
Saisi de la question, le Conseil d’Etat va déclarer nulle une telle disposition eu égard à l’atteinte qu’elle porte aux droits de la personne, considérant qu’ « un règlement intérieur ne peut apporter aux droits de la personne des restrictions qui ne soient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché »
La solution à l’époque est complètement nouvelle en ce qu’elle envisage le salarié comme une personne, un sujet de droits dont le pouvoir de direction de l’employeur ne peut disposer que dans la limite d’un double impératif de justification ET de proportionnalité.
La solution jurisprudentielle marque un véritable tournant.
Suivant le sillage tracé par l’arrêt Corona, la Loi Auroux (4 août1982) : confirme le changement de paradigme : on passe d’un droit des travailleurs à un droit de la personne au travail.
Jean Auroux (ministre du travail) écrit dans son rapport « Citoyens dans la cité, les travailleurs doivent aussi l’être dans leur entreprise ».
Ainsi, la solution posée par l’arrêt Corona se trouve élevée au rang de loi puisque la loi Auroux du 4 aout 1982 introduit un article L 1321-3 (ex L122-35) qui dispose que : « Le règlement intérieur ne peut contenir […] de dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne soient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ».
L’avancée est significative, même si elle reste limitée puisque le contrôle ne porte que sur les dispositions du règlement intérieur !
Par ailleurs, pour la première fois, la loi Auroux consacre la liberté d’expression pour les salariés et l’interdiction des discriminations : « Aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou ses convictions religieuses ».
La loi introduit également le droit de retrait pour les salariés (en cas de danger imminent).
10 ans plus tard, la loi du 31 décembre 1992 va encore plus loin !
A la suite du rapport de Gérard Lyon-Caen, elle généralise la solution et l’introduit dans le Titre 1er du Code du travail « NUL ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne soient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ».
La solution n’est plus cantonnée au stricte cadre du règlement intérieur, elle s’applique à l’ensemble de la relation de travail.
La loi pose alors un principe général permettant de saisir des situations aussi diverses que le choix de son apparence, la libre expression de ses opinions religieuses, philosophiques ou politiques.
Le droit du travail consacre alors pleinement l’existence droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et introduit deux dispositions destinées à en garantir l’effectivité :
Ainsi, par touches successives, le législateur, est venu consacrer l’existence de droits fondamentaux du salarié dans l’entreprise.
Dans sa formulation actuelle, le Code du travail comporte d’ailleurs plusieurs dispositions y faisant référence.
Pour ne citer que les plus connues on peut notamment prendre en exemple :
L’employeur procède sans délai à une enquête avec le délégué et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation.
En cas de carence de l’employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l’employeur, le salarié, ou le délégué si le salarié intéressé averti par écrit ne s’y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui statue selon la forme des référés.
Le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte et assortir sa décision d’une astreinte qui sera liquidée au profit du Trésor.
La consécration des droits fondamentaux du salarié en droit du travail est aussi une construction prétorienne, puisque le juge français comme le juge européen sont venus à plusieurs reprises, en préciser les contours.
Se faisant, les juges ne se contentent pas de mobiliser les fondements contenus dans le code du travail, renforçant ainsi la conviction que le salarié est avant tout un citoyen dont les droits ne s’effacent pas aux portes de l’entreprise.
La jurisprudence a par exemple recours :
Les messages émis PENDANT le temps de travail, depuis une ordinateur PROFESSIONNEL peuvent avoir le caractère de messages personnels si ils sont identifiés comme tels (cas soc 18 octobre 2006)
Ainsi au terme de cette première partie, il apparait que les droits fondamentaux du salarié ont connu au cours des 30 dernières années un véritable essor en droit du travail.
Nous avons ce soir avec nous un fin connaisseur du tissu économique local, et il serait intéressant d’avoir son regard sur cette évolution / la manière dont elle est ressentie dans le quotidien d’une entreprise.
[BERNARD EDOUARD :]
Si le principe est admis, les contours de la notion restent flous…
Les textes qui les fondent étant rédigés en des termes généraux (« les droits de la personne », les « libertés individuelles et collectives »), il convient de s’interroger sur leur effectivité et de se demander en quoi ils constituent une limite au pouvoir de direction de l’employeur.
Si la relation de travail implique par essence un lien de subordination, ainsi que nous l’avons exposé, le pouvoir de direction de l’employeur se trouve contraint par une double limite : impératif de justification et de proportionnalité
Cette double limite est contenue dans plusieurs textes du Code du Travail :
L 1121-1 : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes…. »
L 1133-1 : « Personne ne peut être écarté d’une procédure …. »
L 2313-2 : « En cas d’atteinte aux droits de la personne […] et aux libertés individuelles qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché »
Le juge exerce un contrôle élargi et au nom de ce double impératif, la jurisprudence est venue fixer les limites de l’empiètement du contrat de travail sur les libertés fondamentales :
Le contrôle de la Cour suprême s’exerce en deux temps.
Premièrement les atteintes sont-elles justifiées par la nature de la tâche à accomplir ?
C’est ainsi que la haute juridiction a :
Deuxièmement, même lorsque l’atteinte est justifiée, est-elle proportionnée au but recherché :
Le contrôle du juge est donc particulièrement étendu et eu égard à la généralité des termes utilisés par le code, c’est quasiment toutes les décisions dévolues à l’employeur qui se trouvent susceptibles d’être remises en cause.
Il ne faudrait cependant pas en conclure que le pouvoir de l’employeur s’en trouve complètement paralysé.
On pourrait avoir tendance à l’oublier, mais l’entreprise demeure un lieu privé où le patron, reste, comme charbonnier, « maitre chez lui ».
La jurisprudence n’ignore donc pas la nécessité de préserver le bon fonctionnement des entreprises et rappelle que les droits fondamentaux reconnus au salarié ne sauraient donc faire obstacle au pouvoir de direction de l’employeur.
Elle le fait principalement de deux manières : la recherche d’équilibre (A) et la « fondamentalisation » des droits de l’employeur (B)
La jurisprudence relative à la vie personnelle du salarié illustre assez bien cette recherche d’équilibre.
Le principe est l’immunité disciplinaire pour les faits qui relèvent de la vie personnelle du salarié (sphère d’autonomie du salarié qui échappe au pouvoir de direction de l’employeur).
Il a par exemple été jugé que le fait pour une employée d’acheter une voiture d’une autre marque que celle que commercialisait son employeur, relevait de sa vie personnelle et n’était pas susceptible de justifier un licenciement.
De même, le fait pour l’employé (aide sacristain) d’être homosexuel ne justifie pas une procédure de licenciement.
La chambre sociale censure la décision au motif que l’employeur ne peut congédier un salarié pour le seul motif tiré de ses mœurs. Elle rappelle ensuite que le licenciement du salarié pour un motif tiré de son comportement ne peut être prononcé que si celui-ci, « compte tenu de la nature de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, a créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière ».
En revanche, la jurisprudence précise que cette immunité est relative puisqu’un fait tiré de la vie personnelle peut néanmoins justifier un licenciement en cas de
Les droits fondamentaux ont vocation à reconnaitre en théorie un espace d’autonomie et de liberté incompressible au salarié, qu’il convient de concilier avec le pouvoir de direction.
Dans sa recherche d’équilibre, la jurisprudence n’hésite pas à consacrer et même les droits fondamentaux de l’employeur.
En effet, de manière paradoxale, la consécration des libertés fondamentales du salarié est souvent allée de pair avec la reconnaissance d’un pouvoir accru de l’employeur.
Initialement, lorsque le juge était saisi d’un contrôle de proportionnalité, il mettait en balance les droits fondamentaux du salarié et le pouvoir de direction de l’employeur.
Les intérêts en présence conduisaient à penser que la liberté (qui plus est liberté fondamentale) devait primer sur le pouvoir de direction de l’employeur.
Pour parvenir à un meilleur équilibre, la jurisprudence a opéré une « fondamentalisation » des droits de l’employeur et même de l’entreprise (surprenant voire contestable car ce n’est pas une personne et que les droits fondamentaux ne protègent dès lors plus la dignité humaine, mais un intérêt considéré comme particulièrement important.)
Dès lors, la confrontation ne se fait plus entre le pouvoir de direction et les droits fondamentaux mais entre deux droits fondamentaux.
On opposera au salarié le droit de propriété, la liberté d’entreprendre de l’employeur.
Les juges n’hésitent pas également à faire usage du mécanisme de non-dénaturation qui leur permet également de rééquilibrer les rapports de force entre salarié et employeur. Il s’agit de considérer que la consécration d’une liberté ne peut avoir pour effet d’en bafouer une autre.
La conciliation est souvent particulièrement sensible au regard de l’antagonisme originel d’intérêts.
Deux arrêts sont emblématiques du travail de synthèse opéré par les juridictions :
L’affaire est bien connue des étudiants en droit pour ses enseignements en matière de trouble à l’ordre public et d’atteinte à la dignité humaine.
Elle est également riche d’enseignements en matière de droits fondamentaux du salarié.
Dans cette affaire, il était de organisé, à MORSANG SUR ORGE un jeu, insolite : le « lancer de nain ». Muni d’un casque, un nain est lancé par les participants sur un tapis.
Le maire de la commune considérant qu’une telle pratique est une atteinte à la dignité humaine et constitue en tant que telle un trouble à l’ordre public prend un arrêté pour interdire une telle pratique.
L’affaire présente une autre facette, moins connue, c’est que l’intéressé lui-même, privé de son gagne-pain, avait intenté une action en argumentant que cela constituait une atteinte à liberté de travailler.
Le Conseil d’Etat lui oppose que la liberté de travailler n’est pas absolue et qu’elle ne justifie pas une telle atteinte à la dignité de la personne humaine et au respect de l’ordre public.
Dans cette espèce, un salarié de SAGEM dont les missions l’obligeaient au port de la blouse, avait choisi de porter le bermuda en dessous.
Son employeur lui demande à plusieurs reprises de cesser, mais il refuse de s’exécuter en faisant valoir qu’aucune raison de sécurité ne légitime une telle restriction de sa liberté de se vêtir.
Face à sa résistance, l’employeur le licencie, le salarié saisit le conseil de prud’hommes en invoquant une atteinte injustifiée et disproportionnée à sa liberté de se vêtir.
Après un marathon judiciaire, la Cour de Cassation approuve les juges du fond d’avoir considéré que la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu de travail n’était pas absolue et que l’employeur était fondé à y apporter des restrictions.
Il apparait alors que la recherche de l’équilibre en matière de droits fondamentaux est fragile. C’est un peu une question de vases communicants : Plus vous protégez un droit, moins vous en protégez un autre.
On comprend que l’enjeu est grand car si la protection les droits fondamentaux du salarié est un noble objectif, il ne faudrait pourtant pas y sacrifier la liberté d’entreprendre ou le droit de propriété de l’employeur.
La vérité est probablement un point d’équilibre entre ces deux contraires, en se rappelant qu’« il est aussi noble de tendre à l’équilibre qu’à la perfection ; car c’est une perfection que de garder l’équilibre. »
A ce stade de mon propos, il serait intéressant de connaitre l’opinion du chef d’entreprise. Les droits fondamentaux en droit du travail. Faut-il y voir une avancée pour les salariés ? Les entreprises ? [BERNARD EDOUARD :]
L’IDHM accueille
Fondé de pouvoir du groupe Parfait
Avocat
Retrouvez la video de cette conférence
About the author